Écrit du coeur !
Christiane Henry était intervenue lors de journées du GERPLA au Domamour et voici son écrit du coeur !
À L'AIDE !
Le sociologue Georges Friedmann avait déjà posé le problème de fond lorsqu'il a rédigé son livre intitulé : "où va le travail humain ?". Comme cet intitulé résonne aujourd'hui dans le champ du travail social ! "Le management est un outil de destruction du caractère aidant de celui ci", dénonce Christiane Henry, responsable honoraire de la permanence sociale au ministère de la solidarité. Cette tendance impacte la protection de l'enfance, laquelle n'est plus pensée au sens large du terme, mais réduite à minima dans l'étau des missions obligatoires.
Déclinaisons concrètes et causes.
AIDER : UN CONCEPT EN DÉSUÉTUDE ?
L'immense disparité territoriale ne permet évidemment pas de généraliser. Néanmoins, des fonctionnements qui "posent question", selon l'expression consacrée, émergent indubitablement. Obsolète, passée aux oubliettes, la prise en charge globale avait pourtant du sens ! Un exemple concret parmi tant d'autres : l'accès à un logement décent.
Désormais, ce sujet ne "concerne plus" un certain nombre de services sociaux de droit commun, qui "renvoient" vers les mairies, sans concevoir l'ombre d'un soutien de la demande auprès de ces dernières.
Dans un ordre d'idées proche, les dossiers relatifs au droit d'accès au logement opposable (DALO), sont transmissibles via internet, et donc laissés à l'unique "responsabilité de l'usager". Supposé chevronné. Mais il y a pire. La loi contre les exclusions prévoyait que le préfet ne décide pas d'une expulsion locative sans avoir pris connaissance d'un rapport social. Mais l'aliénation de certains travailleurs sociaux est telle "qu'ils estiment qu'ils n'ont pas à s'adresser à ce représentant de l'Etat, mais à obéir aux ordres du conseil départemental", reprend notre interlocutrice dont la fonction a été de ré interpeler les décideurs. Les bras vous en tombent
Autre exemple du processus d'élimination sur fond de catégorisation : il faut six mois de résidence pour espérer accéder à une aide... potentielle.
Mais tout le monde n'a pas cette chance. Ainsi les gens hébergés sont considérés comme non résidents, ce qui "justifie" que leur demande ne
soit pas prise en compte. Le même sort est souvent réservé aux occupants des "logements passerelles", par définition temporaires : plusieurs mairies ne veulent pas enregistrer leur demande.
"La protection de l'enfance, dans ce contexte, se résume à l'écoute et à la surveillance de la vie ou de la survie : coups, inceste, violences faîtes aux femmes dont l'enfant peut être témoin sont seulement pris en compte. Concrètement, les gens sont reçus par une secrétaire d'accueil qui écarte toute autre demande. Elle oriente ensuite vers une AS ou une conseillère ESF quant à la protection de l'enfance. C'est à l'occasion de cet entretien que la catégorisation, à savoir grand, moyen ou petit risque s'effectue. À partir de cette dernière, l'intervenante signifie à l'usagé (e) qu'il sera reçu tous les quinze jours vingt minutes (le temps est compté). Des signalements ont bien sûr lieu parfois auprès de la cellule des informations préoccupantes. Surtout si la mère ne se présente pas sur fond de disparition de la visite à domicile, qui avait, entre autres mérites, de mettre les gens plus à l'aise au sein de leur lieu de vie. On surveille, mais on n'agit plus, déplore-t-elle. Autre écueil : l'absence de personnel pour exercer une éventuelle AEMO, ainsi que le temps d'attente pour la mettre en oeuvre font que la situation revient au droit commun !
Ce dernier est aujourd'hui souvent réduit à la surveillance des enfants potentiellement en danger, ce qui est nettement plus restreint que la notion de protection. Mais le rôle du service social de droit commun est normalement bien plus large : il s'adresse, comme son nom l'indique, à toute personne voulant formuler une demande, qu'elle ait ou non des enfants. Bien sûr, aider d'un point de vue général, la première, impacte les conditions de vie des seconds quand seconds il y a. Un exemple de volonté d'amputer cette fonction : lors des actions de l'association éphémère dite "789, vers les états généraux du social", réunissant professionnels et usagers, certains AS s'étaient plaints... d'être menacés de licenciement par le Conseil Départemental parce qu'ils recevaient, dans le cadre du droit commun dont c'est la définition même, des personnes en difficulté hors missions obligatoires !
LES CAUSES
Certes, les limites financières existent. Elles sont toujours mises en avant.
Pourtant, "certaines collectivités, pas les plus riches, comme la Seine Saint Denis, font beaucoup d'efforts», fait remarquer Jean Pierre Rosenczveig. De toute façon, ces contingences ne sont pas les seules en cause. Ainsi, "a-t-on présumé que les départements étaient supposés remplacer l'Etat", explique Christiane Henry, en faisant référence à ses échanges avec la ministre. C'est face au constat contraire que la loi contre les exclusions a été élaborée. Objectif : réintroduire la prise en charge dans sa globalité. En agissant sur cette dernière, le service social de droit commun a longtemps joué un rôle en termes de prévention sur la protection de l'enfance. Un exemple : l'aide concrète matérielle permettait de "passer" plus aisément sur le registre des besoins fins de l'enfant, comme l'aide psychologique. Mais "l'esprit de la loi", comme disait Montesquieu, a été contré par une volonté de nier et d'invisibiliser les affres qui composent "la vraie vie" de la "France d'en bas". Pour ce faire, une véritable "méthode", tant d'un point de vue organisationnel que psychologique est à l'oeuvre. À l'élimination selon les catégories ci-avant évoquées, au non traitement des demandes matérielles, s'ajoute "la culture de la culpabilité". Ainsi, le "déséquilibre budgétaire" est considéré comme inhérent à "une mauvaise gestion", sans que soit reconnue la criante insuffisance des ressources.
"Ce management opérationnel permet de justifier que l'on surveille sans agir", dénonce notre interlocutrice. Par ailleurs, si un cadre légal ouvre quelques perspectives (mal connues des usagers), au niveau de l'ASE, il n'en est pas de même en ce qui concerne le service social de droit commun. Ainsi, le droit des familles dans leurs rapports avec les services de l'ASE (articles L223 à l22368) stipule que l'usager "peut être accompagné de la personne de son choix, représentant ou non d'une association". En revanche, "aucune loi n'oblige un décideur à faire en sorte que toute personne en difficulté soit reçue et qu'une aide lui soit apportée", précise notre observatrice. Conséquences : de nombreuses personnes n'en bénéficient pas dans le cadre du droit commun. Ce déni de solidarité est infâme pour tout à chacun, et impacte la protection de l'enfance, réduite à minima. Quid de "l'intérêt supérieur de l'enfant", stipulé par la Convention internationale, quand il vit dans des conditions matérielles innommables sur lesquelles il a été décrété que l'on interviendrait plus ?
Le pire, c'est que faute d'opérateurs pour exercer les mesures d'AEMO, les situations reviennent au droit commun. Une intervenante en analyse des pratiques, fait remarquer, amère, qu'il y a quelques années, les AS faisaient corps et opposaient leur code de déontologie à leurs employeurs. La bonification des stages, pas adaptée selon elle au secteur non lucratif en difficulté pour rétribuer ces derniers, s'est ajoutée à "la crise des vocations". "Elles sont de plus en plus remplacées par des conseillères ESF qui n'ont pas la même identité professionnelle", commente-t-elle. Une responsable honoraire d'un service social de droit commun, a vu se mettre en place la taylorisation, autre fléau des temps modernes : "Certes, il faut un cadre pour se repérer, mais on ne peut pas entrer tout un réel complexe au sein de celui ci. Il faut désormais insérer dans des cases des problématiques à partir d'un pré-pensé", déplore-telle. Au détriment des réponses singulières. L'intervenante en analyse des pratiques dénonce aussi ce souci simplificateur. "Dans certains services d'AEMO, on ne s'adresse plus qu'au parent gardien, alors que les deux ont l'autorité parentale, ce qui pose question en terme légal. Quel sens ont ces pratiques au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant?», interroge-t-elle.
Encore une forme de catégorisation. Celle-ci s'étend sur des versants gravissimes. Ainsi des travailleurs sociaux se sont récemment mobilisés autour de l'hébergement d'urgence. Objectif : empêcher que l'on traite seulement "le pire du pire", (cf. article d'ASH en date du 13/03 ....)
Amnésie collective ?
La loi de 2002 prévoit que l'usager doit être "au coeur du dispositif" !